Strasbourg (67) : un tiers-lieu dédié à la pâtisserie et aux seniors pour créer du lien

Mamies Gâteaux est une association qui propose un tiers-lieu à Strasbourg. Objectif : attirer les personnes âgées isolées en leur proposant des ateliers de pâtisserie. Le projet s’est intégré à un éco-système d’acteurs (associations, collectivités…) afin d’apporter un espace où la confiance peut se créer avec les seniors. Ainsi, il est plus facile de repérer les difficultés et les besoins. Le projet a été récompensé lors du Prix 2022 du RFVAA (Réseau Francophone des villes amies des aînés). 

Retrouvez l’interview de Vincent Gabbardo, responsable du projet.

À quelle problématique répond le dispositif Mamie gâteau ? 

Mamies Gâteaux est une initiative visant à lutter contre l’isolement des personnes âgées et à réduire leur précarité. Pour cela, nous utilisons la pâtisserie à travers notamment des ateliers intergénérationnels. Nous voulions voir si nous pouvions créer du lien par le biais de cette activité. Puis, nous avons souhaité aller plus loin en proposant un moyen d’être rémunéré à travers celles-ci. 

Comment se matérialise l’initiative ? 

Nous avons eu une première phase d’expérimentation à travers le Fonds social européen. La déclinaison actuelle de cette initiative est un tiers-lieu que l’on nomme « tiers-lieu autonomie de quartier». Notre spectre d’actions va de la préparation de la retraite jusqu’aux problématiques liées à l’accompagnement. Mais nous n’avons pas la prétention de répondre à toutes les problématiques liées au vieillissement. Notre ambition est d’être un lieu identifié le quartier de Strasbourg où il y a le plus de plus de 60 ans (16%).  Nous sommes aussi situés à proximité d’un quartier prioritaire de la politique de la ville.

Que retrouve-t-on dans ce lieu ?

Notre tiers-lieu prend la forme d’une pâtisserie et d’un salon de thé. Un commerce de proximité par excellence ! Nous avons une programmation habituelle : des ateliers de pâtisserie entre les aînés pour qu’ils puissent créer du lien entre eux. Puis, nous complétons avec des ateliers intergénérationnels. c’est-à-dire, des ateliers entre aînés avec des populations plus jeunes. Des parents et des enfants par exemple. Nous proposons également des ateliers de diététique à travers la pâtisserie. Ce sont des activités pour créer du lien, agir contre l’isolement des personnes âgées et fournir de l’information. L’idée du tiers lieu, c’est d’être aussi un point d’information et de mettre en relation des acteurs du territoire avec le public que nous rencontrons.

Avec quels autres acteurs travaillez-vous ?

Toutes les actions et toute la programmation sont co-construites avec d’autres acteurs identifiés. Nous travaillons par exemple avec les Petits Frères des Pauvres dans le cadre de la lutte contre l’isolement et la précarité. Mais aussi une association qui s’appelle l’AGF, l’Association générale des familles pour les questions de parentalité ou de diététique. Systématiquement, nous essayons que notre tiers-lieu puisse engager des partenariats. Il existe des acteurs qui sont déjà présents sur le terrain. Nous n’avons pas la prétention de faire mieux qu’elles. 

Votre tiers-lieu crée des synergies ? 

Nous souhaitons vraiment nous positionner comme un lieu identifié sur la thématique vieillesse. Un lieu d’information qui offre des connaissances sur différentes thématiques liées au vieillissement. Le fait de créer un lieu sympathique permet de toucher des personnes qui restent parfois isolées. Un autre point à prendre en considération, c’est que nous essayons, au maximum, de rendre toutes les activités gratuites. Tout est financé à travers des appels à projet ou des financeurs particuliers.

Quels sont les seniors qui participent à vos ateliers ? 

Les seniors sont silencieux. Ils ne se plaignent pas. Les ateliers leur permettent de faire connaissance. Nous les faisons travailler en binôme. Cela les rapprochent. Parfois ils finissent par se voir régulièrement en dehors du tiers-lieu. Le fait de les faire retravailler, c’est leur montrer qu’ils sont capables et leur redonner goût à ces choses. Nous servons aussi de lieu d’écoute. Notre premier atelier santé, par exemple, était sur la question des sucres. Nous avons fait des pâtisseries avec des sucres naturels. Nous en avons profité pour parler de sucre et de diabète. Dans le public que nous accompagnons, nous avons des personnes qui souffrent de diabète. Nous souhaitons, à travers ces activités-là, décomplexer la parole. 

Comment avez-vous eu l’idée de créer Mamies Gâteaux

J’ai vécu à l’étranger. En rentrant en France, nous parlions déjà de repousser l’âge de départ à la retraite. Les disparités sont bien plus prégnantes à la retraite qu’en activité et entre les hommes et les femmes, les femmes touchent 42 % de retraite en moins qu’un homme alors qu’elles vivent plus longtemps. J’ai rencontré dans le même temps une sociologue spécialisée dans la question du vieillissement. Nous avons, ensemble, dessiné un plan d’action, avec mes compétences et les siennes réunies. Nous nous sommes lancés dans la pâtisserie car les horaires de travail sont adaptés aux aînés. 

Comment travaillez-vous avec les collectivités et qu’est ce que votre association leur apporte-t-elle ? 

Les politiques actuelles, vis-à-vis des retraités et des aînés, sont en train d’évoluer. Or, je pense qu’il faut réussir à proposer, en dehors du cadre institutionnel, des réponses à un public qui a du mal à poser des questions habituellement. Si nos aînés n’ont pas un lien de confiance, difficile de leur faire évoquer leurs problèmes. Nous avons mis longtemps à identifier, par exemple, qu’une personne qui venait ici pour une activité de pâtisserie devait réaliser des ménages à partir du 15 du mois pour pouvoir se nourrir. L’institutionnel et donc les collectivités n’ont pas toujours la capacité d’évaluer la situation des personnes de cette façon. Les associations ont un rôle important et doivent collaborer ensemble. Mais nous travaillons avec les institutions locales pour agir. C’est un lien fondamental. 

Vous travaillez avec l’Eurométropole de Strasbourg. Quel lien entretenez-vous avec elle ? 

Nous sommes en contact avec le service santé et autonomie de la ville de Strasbourg. Ils essaient avec leur capacité financière de proposer certaines actions et de les financer. Notre lieu est cofinancé par l’eurométropole de Strasbourg. Pour les actions, nous avons notamment participé à un appel à projet : « Viens avec nous », dans le cadre de la semaine bleue. Le fait de travailler avec l’institutionnel nous permet d’avoir de la visibilité. Ils informent leur public de notre existence. De là, ces personnes peuvent ensuite venir nous voir. 

Quelles ont été les étapes de mise en place du dispositif ? 

L’idée s’est dessinée en 2019 au moment de la création de l’association. Nous avons eu une partie expérimentation afin de valider un certain nombre de points. Le premier point était de savoir si la pâtisserie intéressait notre public. Donc, nous avons proposé des ateliers pour mobiliser les aînés et observer la réaction des acteurs autour du projet. La période de pandémie nous a mis un frein, en sachant que le premier public touché était les personnes âgées. 

Comment le lieu a-t-il été choisi ? 

Il fallait un espace suffisamment grand et qui réponde à de nombreuses réglementations. Il devait être à proximité d’un arrêt de bus ou de tram et qui répondait notamment à notre budget. Nous savions qu’il allait falloir réaliser beaucoup de travaux, par exemple pour l’accessibilité. Nous nous sommes imposé beaucoup de contraintes mais nous avons souhaité prendre le temps de trouver comment financer ce lieu. 

Quel est le fonctionnement quotidien du tiers-lieu ? 

Le tiers-lieu a ouvert en octobre 2022. Nous organisions entre 4 et 5 ateliers de pâtisserie par semaine. Un atelier prend en général 5 heures dans une journée. Désormais, nous avons entre 2 et 3 ateliers par semaine. Nous sommes entre 10 et 15 personnes par semaine. Ce qui nous permet d’avoir des temps conviviaux. Nous nous inscrivons dans le secteur associatif, mais nous fonctionnons comme un pâtissier traditionnel. Nous avons alors des contraintes liées à ce métier. Ensuite, la question de la rémunération des aînés a été compliquée. Nous devions proposer quelque chose d’adapté aux aînés en respectant notamment les droits du travail. Le contrat devait être suffisamment souple, pour répondre aux contraintes de leur temporalité propre. 

Quels sont les critères pour postuler au dispositif ?

Il n’y a pas de compétences en pâtisserie nécessaires. Les personnes doivent avoir plus de 50 ans. Cependant, nous nous adressons plus particulièrement aux femmes âgées dans une situation financière précaire. L’objectif est de s’adresser aux personnes isolées ou en précarité. Nous voulons lutter contre l’isolement et si possible la repérer. Cependant, on tend à créer du lien entre les aînés et de mélanger des personnes isolées et d’autres non isolées… Nous demandons une participation de 5 euros, seulement pour s’assurer de l’engagement de la personne.

Quel est l’impact que vous avez pu mesurer ? 

Aujourd’hui, nous sommes approximativement une soixantaine de personnes ayant participé aux ateliers. Dans ces groupes, certains veulent revenir. On nous demande souvent si les équipes sont les mêmes, car les personnes souhaitent refaire l’atelier avec le binôme qu’ils avaient. Or, nous essayons d’intégrer de nouvelles personnes. Nous gérons actuellement ce type de situation. À l’issue d’un atelier, la personne âgée repart avec sa pâtisserie. Si la personne est isolée, cela l’oblige à reprendre contact avec des proches pour ne pas devoir jeter leurs pâtisseries. Tout cela concourt aussi à la lutte contre l’isolement.

Que peut-on retrouver en plus des ateliers ? 

Le lundi matin et les mercredis après-midi, nous avons des ateliers intergénérationnels. Nous souhaitons que les matins soient dédiés à la production de pâtisseries ainsi qu’à leur vente. D’autres fois, nous organisons des parties de jeux de sociétés, de cartes… Les soirs, nous voulons aussi proposer des permanences avec d’autres associations. Nous répondons aussi à différents appels à projet pour des événements. Par exemple, prochainement, nous allons proposer nos pâtisseries lors d’un colloque. Ainsi, les aînées pourront participer au colloque, car il y a notamment une partie discussion entre les chercheurs et les citoyens. La retraite n’est pas une mort sociale. Il faut montrer l’implication des aînées au sein de la société. 

Quel est le coût de cette initiative ?

Un coût relativement important, car il y a du matériel professionnel. En termes d’investissement, c’est de l’ordre de 250 000 euros. Notre mobilier est un mobilier spécifique et adapté aux troubles. Nous avons embauché une responsable pâtisserie afin de garantir les bonnes pratiques en pâtisserie. Nous avons un suivi sur les questions d’autonomie. Donc nous avons déjà trois salariés. Les plus gros coûts sont de l’ordre de l’investissement, car les coûts relatifs au fonctionnement sont moins importants. En d’autres termes, au niveau des investissements, nous sommes entre 200 000 à 250 000 euros. Le budget fonctionnement représente un coût de 120 000 – 150 000 euros par année. 

Qui financent aujourd’hui les différentes activités et le projet en lui-même ?

Parmi nos plus grands financeurs nous avons Malakoff Humanis, les Petits Frères des pauvres, la Collectivité Européenne d’Alsace et la Région Grand Est. Cependant, nous avons d’autres partenaires financiers, à différents niveaux. Par exemple, pour le mobilier adapté, le groupe TLM Créations, fabricant de matériaux spécifiques, nous a offert les différents équipements spécialisés dont nous avions besoin. Toutes les actions sont co-construites avec des partenaires, tout est découpé par partie, par fonctions, nous avons pas qu’un seul financeur pour la totalité du projet. Un atelier de trois heures, avec 8 à 10 personnes, est de l’ordre de 350 euros. 

Quelles difficultés avez-vous pu rencontrer ?

Nous avons rencontré de nombreuses contraintes. Le cadre législatif par exemple. Mais aussi la formation aux métiers liés à la pâtisserie. J’ai moi même passé un CAP. Nous avons aussi dû prendre le temps de travailler notre crédibilité. Enfin, le contexte a fait que nos investissements ont coûté plus que prévu.