Tribune. Actuellement, plus de 6,5 millions de Français ont plus de 75 ans. Ils seront 12 millions en 2060. Et sont particulièrement frappés par cette pandémie… Cela étant, la façon dont les plus âgés, et les professionnels qui les accompagnent, ont été (dé)considérés lors de la crise du Covid-19, risque bien de rester comme l’un des points les plus noirs de cette période. Cette réalité désolante contraste pourtant avec l’épisode de la canicule, durant lequel les Français se sont montrés globalement soucieux des aînés.
Comme si l’intérêt légitime porté à la condition des malades hospitalisés s’était déployé au détriment des résidents de maisons de retraite. Cette frontière entre « secteur sanitaire » et « secteur médico-social » traduit une idéologie opposant « centres de soins » et « lieux de vie », « jeunes adultes » et « personnes âgées », « malades » et « résidents »… La pénurie de masques – au-delà de l’impréparation qu’elle symbolise – pointe une réalité violente consistant à livrer prioritairement le monde hospitalier au mépris des besoins tout aussi urgents du secteur médico-social. Des milliers d’alertes, concernant les Ehpad comme les dispositifs de services à la personne, sont longtemps restés sans réponses, laissant ainsi des professionnels démunis, des aînés déstabilisés, des aidants et des familles angoissées.
Dans les Ehpad, le retard d’approvisionnement en masques a inévitablement conduit à des « contaminations en chaîne », tandis que l’Etat, pendant de longues semaines, n’intégrait pas à sa comptabilité quotidienne le nombre de décès parmi les résidents. Ce constat bouscule le monde de la santé et la société française dans son ensemble. Les situations aberrantes induites par ce flottement politique imposent de repenser – ou plutôt d’initier – une politique du « grand âge ». En effet, sur le terrain, la « course aux masques » au sein des Ehpad est venue s’ajouter à la pénurie d’équipements de protection individuelle (EPI), au manque de personnels, aggravée par les contaminations, à l’incapacité de dépister des résidents potentiellement atteints du Covid-19, ou encore à l’impossibilité de les hospitaliser en raison de la saturation des hôpitaux.
Une culture du soin à repenser
Face à la situation dramatique des Ehpad, la mobilisation salutaire de la société civile (don de matériels de protection, fabrication artisanale de masques, implication de professionnels de santé retraités…) est malheureusement loin d’avoir pu compenser le chaos à l’œuvre. Parallèlement, le monde institutionnel (associations, entreprises, communes, en particulier celles du Réseau villes amies des aînés) s’est peu à peu organisé pour étendre la dynamique de solidarité : mise en place de dispositifs d’écoute dédiés aux soignants (association Soin aux professionnels de santé), instauration d’un accompagnement physique adapté à distance (Siel bleu), convoyage gratuit de masques depuis la Chine (société But), etc.
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