Le réseau francophone des Villes Amies des Aînés est une association qui œuvre à aider les collectivités à entrer dans une dynamique d’amélioration des politiques locales, sur la question du vieillissement et qui peut même les labelliser. Pierre-Olivier Lefebvre en est le délégué général, présent en Guadeloupe pour un congrès sur la question fin septembre. Il a accepté de répondre à nos questions.

Propos recueillis par Amandine Ascensio

Adapter le territoire au vieillissement, c’est avoir une vision à 360° de toutes les questions de société

Pierre-Olivier Lefebvre, délégué général du réseau francophone des Villes Amies des Aînés

Qu’est-ce que veut dire adapter son territoire au vieillissement, et plus exactement, qu’est-ce qu’on entend par population vieillissante ?

Il faut bien comprendre que la question de l’équilibre des populations est une question démographique. Ce n’est pas tant qu’on vieillit sans renouvellement, même s’il est vrai qu’on est dans des moments où l’ont fait moins d’enfants, notamment en Occident, mais plutôt que les jeunes s’en vont et c’est donc la question de la perte des jeunes. Mais cela ne change rien au fait que, de fait, la société monte en âge et que sa pyramide des âges se déséquilibre.

Lire Aussi | Aux Antilles, l’histoire démographique

On a tendance à voir cela comme un problème, ce déséquilibre, y compris dans la manière qu’on a d’envisager le fait d’être face à une population vieillissante, mais est-ce vraiment le cas ?

Personnellement, je vous répondrai que non pas du tout. Mais la société voit, dans le vieillissement, les charges que cela représente, sans y voir les bénéfices que cela peut représenter. Pour moi c’est un peu comme si, après un afflux d’enfants dans une commune, on considérait comme problématique et coûteuse l’ouverture d’une classe ou d’une école. Or, cela ne viendrait à l’idée de personne de contester cela. C’est une question de dynamique. Il faut aussi percevoir qu’on vit plus longtemps qu’à certaines époques. Cela rebat les cartes de la notion de vieillesse. Actuellement, à 60 ans, si on est une femme, on a environ 30 ans devant soi. Par conséquent, est-ce qu’on est vieux à 60 ans ? Aussi, il faut bien comprendre ce qu’on met derrière la question d’âge. L’âge est rarement vu comme une chance mais ce n’est pas qu’un poids. Des personnes âgées sont des ressources pour la société, elles sont souvent disponibles, souvent engagées dans des mécanismes de solidarités et la plupart du temps elles ont des revenus fixes. Il faut vraiment arriver à une vision et une perception où l’avancée en âge n’est pas synonyme de déclin.

Aux Antilles, la situation est encore différente. La vision des aînés est encore pleine de respect. Il y a une vraie admiration envers les anciens, il y a une vision positive de la vieillesse, souvent liée à celle de la sagesse.

La dernière étude de l’Institut national des études démographiques, portant sur les questions de démographie expliquait que les mécanismes des solidarités intrafamiliales, notamment vis à vis du vieillissement, avaient tendance à s’enrayer un peu. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, aux Antilles, la notion de solidarité intrafamiliale est une notion qui est très répandue et qu’on met souvent en avant, alors que les études montrent que les départs des enfants, des jeunes et leurs parcours de vie viennent ralentir un peu ces solidarités traditionnelles. Ils partent, comme dans d’autres régions pour aller chercher l’emploi, du travail là où il se trouve et ne reviennent pas forcément. Le risque est d’entretenir une image d’Épinal de ces solidarités qui pousserait à mal percevoir le problème. Personnellement, je ne crois pas aux jeunes qui vont revenir pour s’occuper de leurs anciens, le mythe persiste dans l’inconscient collectif, mais pour moi, il faut donc trouver d’autres manière d’inclure les seniors sans attendre tout de leurs familles.

Lire Aussi | Le vieillissement rapide des Antilles appelle des solutions locales

Cela passe-t-il par l’aménagement du territoire ?

Aménager le territoire, ça veut dire penser le territoire, non pas pour une catégorie de personne, ou pour tous, mais pour chacun. Nous, au RFVAA, nous partons du principe que qui peut le plus, peut le moins. Si lorsqu’on pense à la mobilité, aux transports, par exemple, on organise la politique publique autour des besoins des seniors, on répondra inévitablement aux besoins des plus jeunes. Et puis, il faut considérer que les personnes âgées sont des usagers à part entière. C’est donc ainsi qu’on aménage l’espace, le territoire en prenant en compte leur manière de l’utiliser. C’est aussi un enjeu sur l’autonomie que de ne pas penser le vieillissement uniquement en termes d’accompagnements.

On parle beaucoup du vieillissement à domicile, qu’en pensez-vous ?

La question de l’adaptation du logement, au-delà des aménagements internes aux maisons qui viennent faciliter le maintien à domicile, reste essentiellement la question du parcours résidentiel. J’ai envie de vous dire que c’est une question qui se réfléchit en amont du vieillissement de la société : que fait-on du foncier disponible ? Comment inclut-on les futures personnes âgées dans l’aménagement urbain ? Veut-on qu’elles participent à la cité ? Où doit-on placer des Ehpad par exemple ? Il y a une vingtaine d’années, on avait l’habitude de les construire hors des centres-bourgs. En face du cimetière, avais-je coutume de dire. Peut-être qu’en pensant différemment l’intergénérationnel, on pourrait intégrer les résidences dans un ensemble de services de proximité, dans la vie culturelle, associative, etc. Il faut avoir une réflexion à 360 degrés de toutes les problématiques de la vie courante. Intégrer les seniors dans la réflexion pour monter les politiques publiques, qu’ils soient encore jeunes et en emploi, ou à la retraite, ou enfin dans une perte d’autonomie, c’est accroître l’attachement au territoire. L’avancée en âge crée un sentiment d’appartenance très fort. On aime être là où l’on vit, on aime y vivre, et ce, même s’il y a des imperfections.

Comment inclut-on les futures personnes âgées dans l’aménagement urbain ? 

Pierre-Olivier Lefebvre, délégué général du réseau francophone des Villes Amies des Aînés

Aux Antilles, nous anticipons une population de personnes âgées à très faible revenu, sous peu, en raison notamment de l’absence de travail en emploi régulier tout au long de la vie et la tendance ne semble pas s’améliorer sur les projections d’avenir. Quelles sont les préconisations en la matière du RFVAA pour cette population vieillissante ?

Il est difficile d’avoir une réponse toute faite face à ces difficultés qui sont effectivement très sérieuses. Je n’ai pas de solutions à apporter en la matière, c’est une réponse collective qui doit être donnée. La question de la pauvreté des personnes âgées sera posée un peu plus tardivement dans d’autres territoires aussi, notamment dans l’Hexagone. Les réformes successives qui modifient les réponses au chômage, à la retraite, etc. vont créer des cohortes de gens qui n’auront plus de retraites complètes à l’avenir. Vous aurez été précurseurs en la matière pour traiter ce problème et c’est peut-être chez vous qu’on viendra trouver des solutions.